Claudie et Ingrid se connaissent depuis près de six ans. Dès lannée 2002/2003, un échange épistolaire existait entre la 7e Klasse (correspondant à la 5e en France) dIngrid et les élèves de Claudie, élèves débutants de part et dautre. Dans leur projet Tele-Tandem, il se trouvait que les partenaires en présence en 2003/2004 étaient une Klasse 8 allemande (correspondant à une 4e en France) et une classe décole maternelle de grande/moyenne section en France. Les participants pensaient que cette configuration particulière, qui avait lavantage de créer moins de situations dinhibition et de barrières linguistiques dans le travail en commun, aurait un effet positif sur les conditions dapprentissage 25). Aucun travail synchronisé na pu être réalisé en Tele-Tandem avec contact audio et vidéo, en raison de difficultés techniques et de problèmes dorganisation 26), mais les partenaires ont pu communiquer par mails, courriers et affiches confectionnées à lécole. Les élèves français de maternelle ont ainsi pu apprendre à utiliser un ordinateur et lInternet, tout en améliorant la connaissance de leur propre langue, notamment en ce qui concerne lutilisation des majuscules et des minuscules, et la ponctuation 27) (cf. 2.1). Ils se sont vite approprié lordinateur comme moyen de communication, mais ont également compris, plus tard, que la communication pouvait sétablir non seulement par la parole, mais aussi par les dessins ou les gestes. Lannée précédente déjà, les élèves français avaient parlé des coutumes allemandes dans le cadre de lenseignement. La notion de « feu de Pâques » (Osterfeuer) était bien vite devenue familière aux parents français, de sorte quils avaient sans difficulté été conquis par le projet Tele-Tandem (« ça va nous changer de la visite à la ferme »). Claudie a souligné à cet égard que le projet Tele-Tandem a également contribué à créer un esprit de tolérance chez ses élèves, et à faire en sorte que le lointain et linconnu ne soient plus systématiquement associés pour eux à une notion de danger.
Lunique rencontre physique entre les partenaires a eu lieu à Soulaire-et-Bourg en juin 2004. Ingrid a observé que cette rencontre avait eu sur ses élèves un effet durable, et quelle les avait convaincus « de ne pas laisser tomber le français, malgré lenseignement obligatoire ». La dimension technique du projet avait bien motivé les élèves français au début, mais vu les difficultés rencontrées, « au bout dun moment, ils en ont eu assez ». Selon Ingrid, le voyage a été une expérience irremplaçable ; les contacts pris en amont pour se mettre daccord et préparer le voyage étaient néanmoins indispensables. La rencontre a été largement subventionnée par la ville dAngers (musées, etc.). Celle-ci a par exemple financé la confection par les élèves français, sous la direction dune artiste tapissière, de tapisseries, dont une pièce a été offerte aux correspondants allemands. Du côté allemand, il nest pas prévu que les classes de 4e (8e Klasse) participent à des échanges linguistiques 28), de sorte que ce nest pas la collectivité locale (Bezirksregierung), mais la direction de lécole elle-même, qui a pris la responsabilité du voyage. Ingrid a pu argumenter en faveur de cette initiative en invoquant le caractère spécifique du projet. Un travail en tandem a été réalisé pendant la rencontre sur trois thèmes : « le corps », « les vêtements » et « la planète franco-allemande » 29). La visite en commun de deux musées de la tapisserie était par ailleurs au programme, les jeunes Français étant censés fournir à leurs correspondants les explications nécessaires.
Tout au long de la rencontre, les correspondants allemands ont assumé leur rôle daînés vis-à-vis des plus jeunes (« Les grands allaient chercher leurs petits correspondants et il se mettaient ensemble en rang devant la porte pour aller à la cantine » 30)) et, malgré la différence dâge, ils se sont volontiers prêtés aux jeux et aux rondes des plus petits. Ils leur faisaient la lecture, les écoutaient avec attention et prenaient en charge lanimation. Les élèves français prenaient eux aussi leur rôle très au sérieux et se sentaient tout le temps responsables du bien-être de « leur visiteur » 31) . Claudie a raconté comment le travail en Tele-Tandem et la rencontre organisée dans ce cadre avaient eu une influence sur lensemble de sa classe. Deux de ses maintenant anciennes - élèves 32) avaient un handicap ou un retard. Dans lun des cas, il nétait pas certain que lenfant pourrait poursuivre ses études dans la classe où elle avait été affectée. Or cette élève, ainsi que le relate Claudie, a fait au cours de lannée scolaire passée « des progrès spectaculaires, faisant des efforts incroyables pour travailler proprement et pour parler correctement », de telle sorte quelle va pouvoir rester dans sa classe. Quant à la seconde élève, qui souffre dun handicap auditif lourd, elle sest également beaucoup investie. Claudie a particulièrement fait léloge de lengagement des partenaires tandem allemands, qui ont eu le souci constant de faire en sorte que leurs partenaires françaises prononcent les mots allemands aussi précisément que possible 33). Claudie et Ingrid ont toutefois admis quelles avaient idéalisé la rencontre pendant la préparation. Certains problèmes, tel celui soulevé par des familles daccueil françaises avec des parents relativement jeunes, confrontées à des adolescentes, les ont rappelées à la réalité. Mais le fait même de dissiper les malentendus et de rapprocher les points de vue, ce qui na pas toujours été facile, a permis de vivre des expériences très intéressantes, particulièrement pour les parents français. Les familles daccueil se sont donné beaucoup de mal pour proposer à leurs hôtes des activités de loisirs intéressantes, en organisant par exemple des excursions entre plusieurs familles, avec leurs correspondants respectifs. Les relations entre les habitants du village sen sont trouvées renforcées. A la fin du séjour de quatre jours période nécessaire, selon Ingrid, à lacclimatation -, les élèves allemands seraient volontiers restés plus longtemps à Soulaire-et-Bourg. Pendant le voyage de retour vers lAllemagne, des phrases leur échappaient spontanément en français. Plusieurs familles françaises ont entre-temps acquis un ordinateur, et vont pouvoir garder le contact par e-mail avec leurs correspondants allemands. Les élèves allemands ont organisé une exposition sur léchange Tele-Tandem dans leur école.
Sur le plan institutionnel, le projet a également eu des effets positifs : plusieurs parents de lancienne école de Claudie, et notamment ceux qui ont professionnellement des relations fréquentes avec lAllemagne, souhaitent que leurs enfants continuent à apprendre lallemand, estimant quil est important de débuter tôt lapprentissage. Si un nombre suffisant de parents simplique pour soutenir cette demande, Claudie pense que lEducation Nationale leur donnera satisfaction. Claudie a par ailleurs été chargée « dessayer discrètement de savoir auprès des écoles primaires du voisinage quelle langue étrangère les élèves souhaiteraient apprendre à partir du CE2 ». Ces investigations sont liées à la possibilité pour un collège voisin de proposer lapprentissage de lallemand en 6e. De lavis de Claudie, il se profile là « une petite opportunité douverture avec la perspective déventuels partenariats, et une incitation à lapprentissage de lallemand ». Un professeur de collège du secteur de Claudie sest déclaré intéressé à la réalisation dun projet Tele-Tandem. Il sera possible dès lannée scolaire 2005/2006 daméliorer les conditions techniques nécessaires pour létablissement dune connexion par Internet avec des partenaires allemands. Ingrid parle elle aussi de parents enthousiastes, et souhaiterait poursuivre le travail en Tele-Tandem. Dans le Land de Basse-Saxe, le français sera enseigné à partir de 2004/2005 dès la classe de 6e, et Ingrid cherche pour ses jeunes élèves de français des partenaires en France.
Au cours de la discussion qui a suivi lexposé, les experts ont posé trois questions 34) :
1. Comment la méthode Tele-Tandem contribue-t-elle à la poursuite de lapprentissage linguistique ?
2. En quoi la méthode Tele-Tandem diffère-t-elle dautres méthodes (et notamment du simple « travail en tandem »)
3. Comment la méthode Tele-Tandem est-elle transférable ?
La différence essentielle par rapport à lenseignement traditionnel de lavis de Claudie et dIngrid et tous les participants au séminaire étaient du même avis à cet égard réside dans le fait que tout le long du travail en Tele-Tandem, on est en présence de situations de communication authentiques. Lutilisation de lordinateur et de lInternet souvent identifiés comme des « jouets » au quotidien, fait toucher du doigt la réalité. Lenseignant na plus besoin de formules du genre « imaginez que
». Les élèves ont plus de plaisir à communiquer dans la langue étrangère, ils échangent et interagissent avec des partenaires « qui connaissent les réponses ». Lenseignant nest plus là pour poser des questions à des fins de contrôle, chaque élève devient un expert de sa langue maternelle et peut, dans ce rôle, satisfaire dans les meilleures conditions le désir sincère de savoir de son partenaire. De plus, les élèves allemands ont pris conscience de limportance de la grammaire si lon veut communiquer correctement, car « quand on raconte quelque chose, ce nest pas pareil si lon veut dire quon la déjà fait ou quon aimerait bien le faire ». En classe, une telle prise de conscience naurait pas eu lieu. 35)» Claudie a relaté que ses anciens élèves étaient capables encore aujourdhui de récapituler spontanément les expressions apprises lan dernier, et den faire des jeux de mots. 36)
Concernant lorganisation du projet et le travail de concertation nécessaire entre les enseignants, un des participants 37) a souligné que sans la dimension « télé- », le projet Tele-Tandem naurait pas pu progresser autant en lespace dune année scolaire. Quant à la transférabilité du travail en tandem, Claudie a expliqué quelle avait été visible pendant la phase de réalisation des tapisseries, où des enfants de maternelle avaient dû réfléchir à des aspects mathématiques 38), ou avaient découvert quavec les couleurs utilisées, on pouvait représenter « les couleurs du monde entier ». Ainsi la planète franco-allemande devint-elle immédiatement « multicolore ». Le travail en Tele-Tandem a eu plus généralement pour conséquence damener les participants à sinterroger non seulement sur la langue du partenaire, mais aussi souvent sur sa propre langue (voir plus haut). Claudie a ajouté plus tard quà loccasion du travail de coopération en Tele-Tandem, ses élèves avaient appris ce que signifiait une préparation systématique. « Sils pouvaient conserver cet acquis pour lappliquer à lavenir à nimporte quelle autre discipline, ce serait pour eux un atout formidable ».