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Des systèmes éducatifs
Lécole, nest que la partie émergée de tout un système qui repose sur des finalités installées sur des valeurs, des structures et des législations différentes qui ont évolué avec lhistoire et les représentations sociales de chacun des pays. Mettant en parallèle les systèmes allemand et français, un enseignant dira « Die Rolle des Schulsystems ist die Erziehung zum citoyen zum Staatsbürger, während bei uns eher die freie Entfaltungsmöglichkeit der kindlichen Anlagen im Vordergrund steht. » 16). Pour aller plus loin dans le décodage de la culture scolaire voisine, il est intéressant de regarder, comment lEcole, en tant que système déducation, sest forgée à travers lhistoire de son pays.
En Allemagne
Au lendemain de la 2ème Guerre Mondiale qui a marquée lAllemagne au fer rouge, le pays a été reconstruit de sorte à éviter quune telle tragédie pour lEurope et honte pour lAllemagne puisse se renouveler. Lécole et tout le système éducatif a fait alors lobjet dune attention particulière : la tradition autoritaire en vigueur tant à lécole que dans les mouvements de jeunesse, navait-elle pas contribué à « fabriquer » des jeunes allemands dociles et obéissants prêts à se rallier à la cause dHitler pour commettre des atrocités sans précédents ? Cest tout un système éducatif quil fallait repenser, réorganiser et restructurer. Il devenait alors inacceptable de penser lEcole comme un outil dEtat permettant de former ses citoyens. La seule expérience dun système centralisé en Allemagne étant le régime dHitler, lEducation a été régionalisée, diminuant ainsi le pouvoir potentiel étatique : chaque région (Bundesland) dispose dun « Kultusministerium » qui dans le cadre dorientations politiques fédérales fixe les programmes, cursus, diplômes, nomme les professeurs, etc. En conséquence, le cursus scolaire peut différer dune région à lautre, notamment quant au nombre dannées détude, contenus, réglementations quant à lapprentissage des langues étrangères, etc.
Bien au-delà dune simple restructuration, cest la finalité et les fondements de lEducation quil fallait revoir pour développer une philosophie et une déontologie pédagogique qui devraient installer une nouvelle culture scolaire en opposition à la tradition autoritaire en vigueur jusquen 1945 17). Cest à partir de cette réflexion quest né, notamment avec le pédagogue Nohl, un courant pédagogique construit autour de la relation entre « éduqué et éduquant » qui sert de base encore aujourdhui à lapproche pédagogique. La base de léducation est la relation personnelle - ou relation de confiance - entre un adulte et un futur adulte ; grâce à cette relation lenseignant va aider lenfant, le jeune à développer ses potentiels et ses capacités. Lécole doit donner les moyens et aider lenfant à devenir un adulte responsable et critique ; léducateur (enseignant) doit garantir lépanouissement et le développement individuel et personnel de lenfant, notamment contre des lois abusives, ainsi quéveiller son esprit critique à légard de la société. Dans ce contexte, on comprend aisément pourquoi les questions de discipline sont réglées non pas par des lois imposées mais par négociation avec les intéressés ; dans ce concept éducatif, lenseignement est centré sur lindividu, les apprentissages cognitifs constituent la « valeur ajoutée » au développement personnel des capacités de lélève.
En France
LEcole française sest construite de façon plus linéaire avec et pour la République, assumant une identité nationale très forte (Education Nationale) forgée autour de valeurs telles que la laïcité, légalité et la citoyenneté, proches des valeurs de la République :
- Ecole laïque par la loi de 1905 18) : toute pratique ou démonstration des convictions religieuses dans le cadre scolaire est interdite ; la laïcité garantit ainsi la liberté de conscience et de religion reléguant la foie et la pratique religieuse au domaine de la vie privée 19). Les cours de religion ne sont donc pas assurés dans le cadre scolaire 20).
- Ecole de la citoyenneté : lEcole forme des futurs citoyens français instruits et capables de vivre ensemble et dagir dans leur environnement
- Ecole égalitaire : lenseignement doit donner à tous les enfants de France et de Navarre les mêmes chances dacquérir un niveau dinstruction satisfaisant, quelle que soit leur origine culturelle, sociale ou régionale. Rappelons que au début du 20ème siècle la mission de lEcole était dhomogénéiser culturellement le pays 21), alors très rural et daugmenter le niveau dinstruction des Français. Gardant toute sa valeur égalitaire, lEcole a aujourdhui pour mission de combler les inégalités sociales 22).
On peut définir le système éducatif français comme collectiviste, considérant les enfants comme égaux en droit face à linstruction. Les particularismes culturels, sociaux ou individuels ne sont pris en compte que dans la mesure où lenfant ne peut pas suivre une scolarité dite « normale ».
Au centre du système éducatif unique, le Ministère de lEducation Nationale à Paris organise et orchestre léducation de milliers délèves en fixant les programmes, contenus, diplômes, évaluations nationales régulières, etc. ; tous les enfants peuvent suivre la même scolarité quils habitent à Paris, à Marseille, à Brest ou même dans les départements dOutre-Mer. Lenseignant est un fonctionnaire, représentant lInstitution (on parlait jusquà une date récente de « linstituteur ») et donc lEtat ; il considère le plus souvent son métier comme une réelle vocation 23) et jouit, grâce à son statut, dune certaine autorité sur les élèves.
Notions de responsabilités
«
nous sommes prisonniers dun système où nous devons endosser tant de responsabilités que nous ne pouvons faire confiance aux élèves » 24) : En France, lenfant qui va à lécole est placé sous la responsabilité de lEtat 25), représenté par lenseignant qui doit répondre, non seulement de linstruction et de léducation de lélève mais aussi de tout incident, accident, dommage causé à lenfant dans le cadre scolaire. Si toutes les dispositions de sécurité précisées par la réglementation sont respectées, cest la responsabilité de lenseignant qui est en jeu.
LEtat étant responsable des enfants pendant le temps scolaire, un cadre administratif et légal rigide et tatillon a été mis en place qui couvre aujourdhui toute activité scolaire de multiples réglementations précisant exactement les conditions légales ainsi que les dispositions de sécurité inhérentes à lactivité. Pour cette raison également, les enfants ne peuvent pas entrer et sortir librement de lenceinte de lécole : il faut que le parent, ou la personne habilitée à récupérer lenfant, relève lenseignant de sa responsabilité. A ce titre, se rajoutent bon nombre de fonctionnements destinés à assurer la protection des enfants dans le cadre scolaire : surveillance des élèves pendant la récréation, entrée et sortie décole, plans vigipirate 26), etc.
LEcole française nest pas un milieu ouvert : les portes sont fermées en dehors des heures dentrée / sortie ; il faut une permission pour venir à lécole. Dailleurs dans la culture scolaire française, le rôle des parents sarrête à la porte de lEcole et les efforts récents du Ministère de lEducation Nationale pour encourager le dialogue parents Ecole enfant ne trouvent quun écho très mitigé chez les enseignants et chez les parents eux-mêmes.
Alors, que du côté allemand, si lenseignant a une mission de surveillance, il nest pas considéré comme responsable de lenfant. Sa responsabilité est une responsabilité essentiellement morale : il doit aider lenfant à développer ses capacités, son autonomie et son esprit critique pour en faire un citoyen acteur de la société. Responsabilité quil devra assumer pleinement face et avec les parents : en effet, il doit pouvoir répondre et discuter ouvertement de ses choix pédagogiques, les parents ont un droit de regard sur ce qui se passe à lécole, participent et sont invités aux réflexions pédagogiques. Lenseignant est considéré comme un partenaire des parents pour léducation de lenfant. Sil ny a pas de cloisonnement entre éducation (familiale) et instruction (scolaire), il y a continuité, mais dans le respect dun poids affiché en termes de priorité du côté de léducation.
LEcole : rupture ou prolongement de léducation familiale ?
Le système éducatif est le lieu où lenfant apprend à vivre avec ses pairs, se confronte à des adultes autres que ses parents ; lEcole constitue une étape importante de la socialisation de lenfant. Or cette étape est vécue complètement différemment en France et en Allemagne. Béatrice Ludwig, sociologue française, a travaillé sur les représentations de la séparation quotidienne mère-enfant en France et en Allemagne 27) : elle montre notamment quen France, la socialisation précoce de lenfant (qui commence parfois à lâge de 3 mois) est vécue comme un apport nécessaire et positif : lenfant accède à lautonomie en construisant, en dehors de sa mère, ses propres représentations du monde. Cette « coupure du cordon » est dailleurs fortement encouragée et confirmée par un discours de spécialistes de léducation (psychologues, psychanalystes, éducateurs, etc.).
En Allemagne la séparation mère-enfant est vécue comme un traumatisme que lon doit retarder le plus possible et ce nest souvent que vers lâge de cinq ans que lenfant va quitter sa mère pour aller au Kindergarten 28). La socialisation se fait progressivement avec la mère qui va élargir le couple fusionnel mère-enfant pour louvrir aux membres de la famille tout dabord, puis au cercle damis (Krabbelgruppen où lenfant, accompagné de sa mère, peut rencontrer dautres enfants), puis à la communauté environnante et enfin au Kindergarten. Par la suite, lEcole prendra le relais avec un volume horaire quotidien qui reste bien moins important quen France puisquil rentrera laprès-midi à la maison.
A ces représentations divergentes sajoute la mission traditionnellement conférée à lécole dans léducation des enfants. Côté français « Lenfant mest confié par une famille qui sen remet totalement à moi pour son éducation. Je suis son tuteur » 29), lenseignant est un acteur déterminant dans léducation des enfants et à travers lui lEcole et donc lEtat. Ce développement, voulu par Jules Ferry au début du 20ème siècle, avait pour objectif de donner un égal accès à léducation à tous, même aux enfants dont les parents navaient pas un niveau dinstruction suffisant pour les éduquer. On retrouve dailleurs à travers ces principes les valeurs républicaines et égalitaires qui sous-tendent la culture scolaire française. Léducation est donc effectivement confiée à lEcole aussi bien en terme de responsabilité morale quen terme de responsabilité civile et pénale.
En Allemagne, lidée que lEtat puisse être un des acteurs principaux de léducation des enfants est inconcevable parce quelle rappelle lenrôlement des enfants sous le régime totalitaire dHitler. LEcole noccupe pas la même place dans léducation des enfants ni en volume horaire, ni en terme de poids éducatif et elle reste soumise au regard des parents qui restent les principaux éducateurs. En terme juridique, la responsabilité de lenseignant nest pas engagée.
Ces quelques remarques ne prétendent pas fournir une analyse comparative exhaustive des deux systèmes mais offrent quelques clefs pour la compréhension de chacune des cultures scolaires. Rajoutons à cela, que les systèmes scolaires ne sont pas figés mais suivent les évolutions politiques, économiques et sociales des sociétés dans lesquelles ils sintègrent ; aussi, à moyen ou long terme, ces différences pourraient être amenées à sestomper notamment suite à la standardisation à des normes européennes ou face au développement des technologies de linformation proposant de nouvelles formes dapprentissage qui bouleversent le schéma traditionnel de la relation pédagogique enseignant-élève.
Par contre, la réaction face à la différence est intéressante : confronté à un système différent, le regard critique voire parfois négatif, reflète la remise en question de lidentité professionnelle et personnelle de lenseignant (conception de la pédagogie, rôle social de lenseignant, rapport enseignant / parents et enseignant / enfants). Cette remise en question est une des étapes nécessaires à ladaptation au nouvel environnement et à la redéfinition de nouvelles pratiques pédagogiques qui enrichissent sa pratique professionnelle (« japplique maintenant une pédagogie mélangée » 30)).
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